Parole à l'historienne locale
La Paix de Fexhe (18 juin 1316), un jalon sur le chemin de la démocratie (par Anne Godinas)
La Paix de Fexhe s’inscrit dans un contexte historique liégeois bien particulier : elle met fin à la guerre qui oppose le prince-évêque Adolphe de la Marck (1312-1388) à son pays, guerre qui a pour origine un acte de déni de justice du souverain. Mais elle met surtout en œuvre deux grands principes fondamentaux de la démocratie qui protègeront les Liégeois de l’arbitraire et de l’absolutisme princier tout au long de leur histoire, alors même que les Etats européens adopteront la trajectoire inverse. Garantie par le tribunal des XXII (1373), la Paix de Fexhe fonctionne comme une véritable constitution. Elle est solennellement contractée entre le prince, les chanoines de la cathédrale, les grands vassaux (comte de Looz, comte de Chiny,…), les chevaliers, les représentants de l’administration et de la justice des « bonnes » villes de Liège, Huy, Dinant, Saint-Trond, Tongres, Maastricht, Fosse, Couvin, Thuin. |
Le texte consacre :
1° La primauté de la Loi du pays sur la volonté du prince, notamment en matière de justice.
Ses fonctionnaires y sont également tenus ; une prestation de serment sera requise lors de toute entrée dans une fonction publique.
2° Une loi ne peut être modifiée, supprimée ou créée sans l’accord unanime du « Sens du pays », réunissant autour du prince les 3 Etats : le chapitre cathédral, la noblesse et les représentants des villes importantes de la principauté.
Cette assemblée acquiert un rôle législatif qui ne fera que croître puisque son accord unanime est aussi requis pour toute nouvelle levée d’impôt et affectation des finances (travaux publics, représentation diplomatique, armée, défense militaire,…), toute décision d’allinace politique, de déclaration de guerre ou de paix… Les 3 Etats se réuniront chaque année au palais. Cette clause qui ne se retrouve ni dans la Grande Charte anglaise, ni dans les chartes du duché de Brabant, constitue un jalon vers un système représentatif.
En 1343 et, définitivement, en 1373, le tribunal des XXII (4 chanoines de la cathédrale, 4 nobles, 14 délégués des bonnes villes désignés par les Etats) juge rapidement et sans appel toute infraction à la Paix de Fexhe. Il est le garant de sa longévité.
Malgré les modifications du 17ème siècle qui limiteront son efficacité, la Paix de Fexhe s’impose comme une véritable constitution.
Pourquoi « Fexhe-le-Voué » ?
- Fexhe fait partie d’une seigneurie concédée à l’avoué de Hesbaye, nommé par le prince et qui est peut-être déjà un La Marck ;
- Fexhe est resté en dehors des hostilités opposant les Awans aux Waroux. C’est donc un terrain « neutre » ;
- A cette époque, une terrible famine règne sur l’Europe. Le territoire de Fexhe est peut-être le seul capable de subvenir aux participants de cette cérémonie (=grenier de la Hesbaye).
Vestiges de cette époque :
- Site de l’église. Le cimetière fortifié et le presbytère faisaient partie de l’ancien site du château, ancienne maison forte.
- Tour de l’église (12ème siècle)
Au 12ème siècle, l’habitat s’établissait dans un repli, à côté de la butte, à l’abri des vents dominants. Cet emplacement correspond au début de la rue de Fooz et à la rue de la Station. La rue de la Dîme conduisait à la grange où était entreposée la dîme, partie de récolte.
Parole à l'Université de Liège
Histoire de Liège
Il y a 700 ans, la paix de Fexhe Article paru dans "le 15ème jour" , janvier 2106-250 L’histoire du pays de Liège, on le sait, ne fut pas avare de turbulences. Au début du XIVe siècle, tout particulièrement, qui vit l’affrontement sanglant des Awans et des Waroux, une guerre de vendetta familiale qui décima une bonne part de la chevalerie de la principauté. Avec le Mal-Saint-Martin aussi, “malheur” au cours duquel, dans la nuit du 3 au 4 août 1312, les “grands” ayant voulu écarter les “petits” du pouvoir firent les frais de la colère populaire, appuyée par la soixantaine de chanoines du chapitre cathédral : l’incendie de la majestueuse tour de la collégiale du Publémont emporta bon nombre des nobles et leurs alliés.
Photo : “Le prince-évêque Adolphe de la Marck obligé d’accorder aux Liégeois la Paix de Fexhe (1316)”, Émile Delperée en 1890 (peinture murale située à l’intérieur du Palais provincial de Liège) |
Guerre et Paix
Cet événement, haut fait des luttes sociales liégeoises du Moyen Âge, s’était déroulé durant la vacance du siège épiscopal. Le prince-évêque Thibaut de Bar, parti en Italie avec le roi de Germanie Henri VII appelé à recevoir la couronne impériale dans la Ville éternelle, y succomba en mai 1312 au cours d’une déplorable rixe de rue. Plus d’un an plus tard, le 26 décembre 1313, monte sur le trône de la Cité Adolphe de la Marck. C’est un souverain persuadé que l’autorité ne se partage pas. A fortiori avec les gens du peuple.
« Or, dans une large mesure, le pays entend s’opposer à ces velléités absolutistes, bien dans l’air du temps cependant », fait remarquer Alexis Wilkin, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’ULB et maître de conférences à l’ULg. À cette tension politique s’ajouta, comme si les dégâts causés par les guerres privées ne suffisaient pas, l’effroyable famine de 1315-1316. « Elle poussera les différents belligérants à conclure une paix : ce sera la Paix de Fexhe du 18 juin 1316, document qui fera couler beaucoup d’encre depuis cette date », poursuit le Pr Wilkin.
La paix est conclue par le prince-évêque, les chanoines, les représentants des bonnes villes et les grands chevaliers dans une bourgade rurale de la Hesbaye liégeoise, situé à l’ouest de la capitale du pays : Fexhe-le-Haut-Clocher. « Il s’agit du nom actuel de l’entité communale, fait remarquer Alexis Wilkin. Sous l’Ancien régime, le village s’appelait “Fexhe-le-Voué”, domaine appartenant à l’avoué de l’Église de Liège, l’avoué étant chargé de la protection militaire d’une propriété ecclésiastique. Il faut savoir que, tout au long de la période féodale et jusqu’à la Révolution, la campagne hesbignonne – tant flamande que wallonne – regorgeait de possessions aux mains de clercs. »
Que contient cette “paix des braves” à la sauce principautaire ? Essentiellement trois points, exposés avec force détails par Alexis Wilkin et repris ci-après en substance. Primo, les personnes, aussi bien nobles que roturières, doivent être jugées selon le droit existant, et les officiers épiscopaux sont tenus de se conformer à ses dispositions, ce qui engage l’évêque à poursuivre ceux qui auraient enfreint sciemment les dispositions légales et à les conduire à résipiscence en cas de besoin. Secundo, si l’évêque se montre récalcitrant à intervenir auprès de ses officiers pris en défaut et ne les oblige pas à s’amender, le chapitre des chanoines suspend l’exercice de la justice dans la principauté jusqu’à ce que l’évêque soit revenu à de meilleurs sentiments. Tertio, la loi ne peut pas être modifiée sans l’accord de tous les corps constitués du pays (chapitre cathédral, noblesse, villes, prince), répondant à l’expression “Sens du pays”. Est-il besoin de signaler qu’il y a là une préfiguration des trois États de l’Ancien Régime : hommes de prière, hommes de guerre, travailleurs ?
Libertés démocratiques
Pas étonnant, dès lors, que cette Paix de Fexhe fut souvent considérée par la suite comme étant “le point de départ de la Constitution du pays de Liège”, d’autant qu’elle fut complétée quelques décennies plus tard par la création en 1373 du Tribunal des vingt-deux. Cette juridiction, composée elle aussi des chanoines, des chevaliers et des bourgeois, était appelée à juger les exactions ou manquements des officiers épiscopaux. « C’est notamment autour de cette institution que vont se cristalliser les oppositions, constate le Pr Wilkin. Le texte de 1316 fut mal vu par les princes-évêques, par Adolphe de La Marck d’abord, puis par son successeur Englebert de La Marck. Et les suivants auront tendance à le mettre sous le boisseau, si du moins ils étaient assez velléitaires et en mesure de le faire. »
Mais, charriant un idéal de liberté, il va connaître une grande destinée symbolique. Au XVIIe siècle notamment, au moment des rivalités entre Grignoux et Chiroux. À la fin du XVIIIe aussi, quand émergent – à la suite de l’affaire des jeux de Spa – les prodromes de la Révolution de 1789 : les Liégeois favorables au retour des anciennes libertés démocratiques arborent alors un insigne de cuivre gravé et doré où figure la mention “Paix de Fexhe 1316”. Et jusqu’aujourd’hui, puisque l’ULg et la province de Liège se préparent à commémorer avec éclat l’écrit signé il y a 700 ans en terre liégeoise.
« Plusieurs manifestations cette année sont prévues à cette occasion, annonce Alexis Wilkin.
La commune de Fexhe assurera la commémoration de l’événement au jour anniversaire ; les autorités provinciales veulent mettre cette commémoration en rapport avec l’éducation à la citoyenneté et organisent un colloque scientifique coordonné par Christophe Masson. Le ministre Jean-Claude Marcourt soutient un projet du Pôle Image de Liège, soit la production d’un court documentaire sur cet événement et sa répercussion dont j’assure la coréalisation avec les Films du Carré et Michel Grétry, journaliste à la RTBF, la voix. »
Quand on vous disait que la Paix de Fexhe était chère au cœur des Liégeoises et Liégeois. Et de quiconque est épris de liberté...
Henri Deleersnijder
Photos : Service communication de la province de Liège.
Étude de la Paix de Fexhe de 1316 à 1795
La Paix de Fexhe de sa création à la fin de la Principauté de Liège
Par Christophe Masson , Aspirant du FNRS Université de Liège La Paix de Fexhe est certainement l’un des textes diplomatiques liégeoise les plus connus. Elle s’est ainsi entourée au fi l des siècles d’une aura, forgée depuis les lendemains de la Révolution liégeoise par les différents commentateurs de l’histoire liégeoise. Mais curieusement, aucun historien n’y a consacré ne serait-ce qu’un article critique dénué d’a priori. Nous allons donc livrer ici l’étude de plus de cinq siècles d’histoire de ce texte, entre sa promulgation le 18 juin 1316 et la disparition de la principauté le 1er octobre 1795, en cherchant à percevoir sa signification et ses implications dans la vie politique, judiciaire et sociale liégeoise. Mais ce texte n’étant pas né ex nihilo, il était important d’évoquer son contexte de rédaction pour saisir sa réelle signification. |